28 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 23 -

De ma sœur … à mon père …

Il aurait eu 100 ans aujourd'hui

De cette nuit où la longue Dame voilée de nacre noire était venue me chercher, de cette nuit, le souvenir est ciselé. Elle avait avancé vers moi ses mains froides et transparentes, déposé d'énormes galets dans ma bouche et transformé mes bras en granit dur et morcelé.
Elle voulait m'emporter dans son ascension vertigineuse. Le ciel était à ma portée. Mes trémoussements de fillette fragile hurlèrent non ! 
Mon cri étouffé fut entendu de ma mère, qui réveilla mon père : "elle a encore un cauchemar".
Il se leva, franchit le seuil de ma chambre d'enfant solitaire à moi offerte trop tôt. Il appliqua sa main sur mon front, récita son verset miraculeux.
La longue Dame s'éloigna discrètement, puis disparut dans l'encoignure la plus obscure de ma chambre. Ma mère me prit dans ses bras : "j'avais des cauchemars aussi à ton âge" Elle ne savait pas alors que, comme elle, au même âge, j'allais être orpheline de mon père.
Le corps du père avait remplacé le mien auprès de la froide créature voilée de nacre noire.
"Le verset du trône" m'avait restitué ma navigation morphique jusqu'au matin chargé de sons. La voix de mon père récitant le verset miraculeux ne m'a plus jamais quittée.
Mais j'ai besoin parfois, encore aujourd'hui, de sentir sa main sur mon front.

Beïda Chikhi
Paris, 21 février 2009

24 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 22 -

L’espace et le bonheur

Le Numide, l’espace, les dimensions, les choses font-ils partie du bonheur ?
Jules Renard dans son Journal (1887-1910) a écrit : ''Le bonheur c’est d’être heureux. Ce n’est pas de faire croire aux autres qu’on l’est''. Il a aussi dit ‘’Je veux faire les choses bien, et je désire que quelqu’un, n’importe qui, s’en aperçoive.’’
Mais pour toi, comment conçois-tu l’espace et le bonheur ? ‘’Pour moi, l’espace par où je passe une fois n’est plus le même lorsque mes pas m’y conduisent une seconde fois. Il y a la période ou le moment qui ne sont plus les mêmes - le matin, l’après midi, le soir, la nuit. J’ai observé que je ne revenais jamais au même endroit et au même moment.

En fait, même chez soi – lorsque nous quittons le matin et que nous y revenons à un autre moment de la journée, quelque chose a changé.  Si ce n’est pas l’aspect physique de cet endroit qui peut être est figé, statique, sans vie – c’est la personne qui a changé.
Nous ne sommes plus les mêmes. Nous avons vieilli de quelques minutes, de quelques heures, de quelques instants. Nous avons vu, entendu, senti, goûté, touché bien des personnes, bien des objets qui sont en constante évolution. C’est ce tout qui fait le bonheur lorsque nous savons le comprendre, le décrypter, le savourer.’’
Ferid Chikhi

20 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 21 -

Je me suis trouvé dans une situation
Sans savoir comment j’y suis arrivé.
Le Numide, pour reparler de New York, il y a quelques années de cela tu m’as dis, ‘’il existe de par ce monde des lieux uniques par leur splendeur et leur histoire. Certains sont petits et ignorés parce qu’ils n’ont pas fait l’actualité à l’époque de leur édification. Pourtant ces lieux gagneraient à jouir de plus d’attention que ceux qui reçoivent déjà des millions de visiteurs venant de toutes les parties du globe pour admirer leurs formes, leurs couleurs, leur utilité, leur lien avec l’humanité’’.

Parmi ces merveilles du monde tu as cité pour les avoir visités la Mosquée Bleue d’Istanbul et le Palais de Topkapi, tu as aussi évoqué la Cathédrale de Cologne ou encore les villes allemandes reconstruites à l’authentique après leur destruction par les alliés en 1945, Leipzig, Dresde, Magdebourg. Au cours de ce voyage à New York, qu’est ce qui a le plus retenu ton attention? 
‘’Je crois pouvoir dire que c’est sans risque de me tromper et sans conteste la Fontaine de la paix près de la cathédrale St John le divin. Une curieuse fontaine qui n’a jamais d’eau mais inclut le Diable, un crabe et 9 Girafes. Je ne sais pas quel lien il faut faire entre les trois et le sens de ce regroupement mais cela m’a interpelé. Située à proximité de la cathédrale Saint John le Divin (la plus grande cathédrale au monde), cette Fontaine a été construite en 1985 par Greg Wyatt pour symboliser le triomphe de Dieu contre le Diable, incarné par l’Archange Gabriel vainqueur de Satan.
Mais dans les faits qu’a-t-elle de particulier ? Je dirais plutôt de bizarre. Oui, j’ai trouvé bizarre et je pense que cela peut se vérifier, que toutes les photos prises par les professionnels ou les amateurs ont toujours un ciel blanc, jamais les trois autres couleurs - le bleu, le gris et le noir - n’y apparaissent. 
A mon sens elle interpelle tout un chacun sur les forces en opposition – la violence et l’harmonie, la lumière et la noirceur, la vie et la mort, que Dieu réconcilie dans sa paix.
Mieux encore et c’est là un paradoxe. Cette fontaine est une œuvre d’art. Pourtant elle est à la fois vantée et décriée. Je crois que les admirateurs sont heurtés par le mélange bizarre de l’art moderne, des symboles de l’ancien testament, des animaux exotiques et de Satan décapité. 
Tout autour du jardin des plaques mentionnant des citations de presonnes prestigieuses tel queMahatma Ghandi, Benjamin Frankklin, Soeur Teresa, John Lennon et bien d'autres hommes et femmes de paix. Ces plaques ont été réalisées par des enfants. J’ai retenu quelques-unes des citations qui me semblent parmi les meilleures. Par exemple celle de Benjamin Franklin : ‘’Il n’y a jamais eu une bonne guerre ou une mauvaise paix’’ ou encore celle du Mahtma Gandhi.  ‘’J’objecte à la violence parce que lorsque c’est le moment de faire le bien, le bien est éphémère ; le diable est permanent’’ Ou encore celle de Norman Vincent Peale  ‘’Modifie ton mode de pensée, et tu changeras ton monde’’ et celle de Mère Teresa  ‘’Si nous n’avons pas de paix, c’est parce que nous avons oublié que nous appartenons les uns aux autres‘’ mais la meilleure est pour moi sans conteste celle de Confucius ‘’Un voyage d’une centaine de miles commence par le premier pas’’.
C’est là une belle citation qui te convient bien, puisque tu te considères comme toujours en mouvement. Un sourire en coin de lèvres montre que je venais de faire mouche.

Ferid Chikhi

14 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 20 -

De mon frère... à ma mère...
Osmose (Batna 1983)

Le ciel était intégralement bleu.

Sereine et rayonnante, un foulard marron-clair sur la tête, elle se recueillait devant la tombe de mon père. Je ne pensais pas à lui à ce moment-là, je prêtais plutôt attention au silence des lieux tout en la regardant psalmodier des versets du Coran.


Je la sentais bien dans sa peau; j'étais heureux de la voir ainsi; sa méditation était apaisante; une sorte de pureté émanait de son visage; cela lui conférait comme une prééminence sur ce qui nous environnait; elle semblait trôner sur tout le reste. L'impression que j'en avais alors dura peut-être une demi-heure, mais je crois aujourd'hui que tout était intemporel.

Elle était belle.

Autour des sépultures voisines, quelques femmes voilées conversaient à voix basse; c'était une ambiance reposante en dépit de ce que je percevais comme des clameurs provenant de la périphérie de la ville.
C'était une tranche horaire où la lumière du jour était excellente.
Les éléments étaient en osmose. Je le ressentis dans mon corps.

Lamine Bey Chikhi
Posté par imsat le 14 novembre 2009
http://imsat.unblog.fr/2009/11/14/osmose-batna-1983/

13 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 19 -

À ceux qui traversent les océans...
Et à ceux qui les accueillent...

Ne vois-tu pas que je ne suis plus inquiet ?
Pourquoi ne parle t’on pas d’amitié ?
Écoute ! Viens ! Entre nous point de peur
Pour un futur de paix je suis acteur.


Regardes, de là d’où je viens, je n’ai pas fuis
Je ne fais que passer un instant de ma vie.
Regardes, je viens du jour et non de la nuit
Oui ! De ma lointaine patrie je suis venu.

Écoute, ta tranquillité m’a séduit.
C’est un instant de ma vie que j’ai choisi 
Là est une aubaine veux-tu que je te dise saisissons-la
Et, de nos mains ouvertes offrons-la.

De mon pays et de ma famille, il y a eu rupture.
Pourquoi ne pas façonner ensemble un autre futur ?
Venu d’ailleurs je te parais étrange
Que faut-il faire pour que tu changes ?

Le Numide
13 novembre 2003

11 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 18 -

Le Berlin des Ponts contre le Berlin du Mur
En souvenirs de mon passage à Berlin en novembre 1999

Le Numide, l’Allemagne, l’Europe, le monde entier se souviennent et fêtent la chute du mur de Berlin. Il y a une dizaine d’années de cela tu m’as parlé de ta visite à Checkpoint Charlie et au pont de la Bornholmer Strasse qu’est ce que cela évoque pour toi ?
‘’De la joie mêlée à de la tristesse’’. Un silence. Des souvenirs qui remontent à la surface. Une sérénité qui s’affichent et Le Numide reprend son commentaire. ‘’ Oui, mon travail m’a amené à vivre trois années consécutives en Allemagne. J’y ai passé des moments inoubliables, tant avec les allemands qu’avec les environnements culturel et historique de ce pays. Au début des années ‘’90’’ les prémices du nouveau Berlin pour ne pas dire de la nouvelle Allemagne étaient palpables. Mais d’abord pour le mur, cela évoque pour moi des mots ignobles : fascisme, séquelles résurgentes de l’oppression permanente de la dictature, de l’oppression et de la répression.

Ça me rappelle qu’hier encore, en Algérie, il y avait les barbelés des lignes Challe et Morice. Infestées de mines anti personnelles. Aujourd’hui encore, elles poursuivent leur œuvre mortelle. Zone tampon nous a-t-on-dit. Mais leur minage est passé sous silence. Seule la déflagration nous rappelle le handicap qui nous guette ça et là. Elles handicapent et tuent encore et encore des enfants et tous ceux, y compris les animaux, qui osent s'égarer là ou elles existent encore.

Hier le mur de Berlin, le rideau de fer, aujourd'hui encore les murs des Corées et de Cisjordanie. Les murs à Chypre ou à Ceuta.  Mur de la honte pour les uns mur de protection antifasciste, anti terroriste et anti immigration pour les autres. Je me suis toujours demandé pourquoi construire des murs qui nous brouillent, nous coupent, nous désunissent, nous divisent, nous éloignent, nous fragmentent, nous morcellent alors que nous sommes semblables ?

Dans ma jeunesse j’avais appris que la construction d’un mur avait pour finalité la protection du danger.  Mais en vieillissant je me rends compte que ça n’est pas toujours la vraie raison. Qui peut voir ce qu’il y a derrière un mur dés lors que la vision est obstruée et que la circulation est restreinte, empêchée, interdite ?
Pourquoi construire des murs qui nous séparent et qui nous cachent les uns aux autres devenant à la longue le cauchemar réel pour les uns et les autres et l’expression de la haine de l'homme à l'égard de son semblable ?’’

Que proposes-tu à la place ? ‘’À vrai dire je dirai qu’il ne faut plus construire des murs qui séparent et des murs qui cachent. Les murs qui existent encore pour ces idées doivent tomber. En allant à Berlin je suis passé sur un pont pour rejoindre l’autre partie de la ville. Alors pourquoi ne pas construire des ponts qui nous unissent, nous rassemblent et nous lient les uns autres ? Qui peut dire ce qu’il trouvera lorsqu’il aura passé le mur alors que le pont nous invite à nous rapprocher les uns des autres en connaissance de cause ?
Le mur nous incite à crier, à fulminer, à geindre, à pleurer, à récriminer, à reprocher à ses constructeurs notre sort et à aimer, à envier, à convoiter, à désirer celui de  ceux qui se trouvent de l’autre côté.  Le mur de Berlin est tombé et c’est par pont de la Bornholmer Strasse que nous nous sommes retrouvés à Check point Charlie. Le pont nous convie à dialoguer, à communiquer, à se parler, à se comprendre, à s’écouter, à franchir les étapes, les espaces vides qui nous séparent, les ponts relient.’’ Un silence suit cette réflexion. Une transition vers un autre thème s'annonce et se prépare.
Ferid Chikhi

6 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 17 -

 Ne m’appelle pas étranger…

De Rafael Amor

 Le Numide, comment expliques-tu l'exil, l’expatriation, l'immigration? Là encore, une réaction à peine perceptible, quelque part indiscernable sur son visage, quelque chose de furtif…il se résout pourtant à commenter.
Je ne saurais tous les expliquer en quelques mots. Ils font partie du même mouvement régulier de l’humanité vers son futur. Ils sont nombreux celles et ceux qui les vivent comme synonymes de séparation brutale d’une famille, d’un pays, d’éloignement des proches. Dans le pays d'accueil ils sont aussi synonymes d’isolement, de rejet, d’exclusion.


Et pour cause un grand nombre n’arrivent pas à s’adapter au monde nouveau qui les accueille. Aux personnes qui les attendent…Le pire se vit quand commence la rencontre avec l’autre. Un autre qui à un moment ou à un autre de son existence ou celle de ses ancêtres est venu d’ailleurs.  Elles et ils sont arrivés en premier de la même façon que les suivants par des chemins difficiles. Mais pour elles et pour eux ces nouveaux arrivants sont des étrangers et étranges. C’est là que le bât blesse. 

Rafael Amor, un chanteur Uruguayen a su chanté l’étranger. Je pense que ces vers sont significatifs de ce que ressentent les ''intrus face aux originaires''. 
     
''Ne m'appelle pas étranger parce que ta route m'a attiré et parce que je suis né dans un autre pays, parce que j'ai connu d'autres océans et appareillé à d'autres ports.
Mais les mouchoirs voletant pour se dire adieu sont les mêmes,
Comme sont identiques les yeux humides de larmes
De ceux que nous laissons.
Les prières et l'amour de ceux
Qui espèrent notre retour sont les mêmes.


Ne m'appelle pas étranger.
Tous, nous pleurons avec la même voix et partageons la même fatigue,
que nous traînons derrière nous depuis le commencement des temps.

Quand les frontières n'existaient pas encore,
Bien avant l'existence de ceux qui divisent et tuent,
De ceux qui vendent nos rêves et qui auraient,
Un jour, inventé la parole ''étranger''.

Ne m'appelle pas étranger.
C'est un mot triste, un mot froid qui évoque l'exil''.

Après ces vers, le Numide, poursuit en insistant ''sais-tu ce qui me rassure le plus ? Et bien, c'est la chaleur avec laquelle ils arrivent dans le pays qui leur ouvre ses bras. Cela finit par avoir raison des rejets, de l'exclusion et des autres qualificatifs pratiqués pour les indexer. Cela se fait dans tous les cas parce que dans leur nouveau pays il existe des femmes et des hommes qui savent ce que les mots hospitalité, partage, écoute veulent dire''.  
Ferid Chikhi

Titre original du poème : ''No me llames estranjero''

Auteur : Rafael Amor

4 nov. 2009

Un Numide en Amérique du Nord - 16 -

Le futur de tes descendants est inscrit
dans le passé de tes ancêtres

Le Numide, j’ai une question un peu particulière que je voudrais te poser avant de revenir à New York et au Jardin de la Paix. Es-tu un nostalgique du temps passé, du présent ou bien es-tu quelqu’un qui vit pour son avenir, son futur ?

Un clignement des yeux montre qu’il est réellement surpris par ma question. Avec un étonnement non feint il me demande ‘’Pourquoi une telle question ?’’ J’ai eu l’opportunité de constater que lorsque tu évoques tes souvenirs il y a des détails qui sont encore vivaces dans ton esprit, tu fais le lien avec le présent et tu te projettes dans le futur. Alors je me suis demandé comment tu conceptualises le temps ?

‘’Je te vois venir. Disons que, pour moi l’espace par où je passe une fois n’est plus le même lorsque mes pas m’y conduisent une seconde fois. Il y a la période et le moment qui ne sont plus les mêmes - le matin, l’après midi, le soir, la nuit sont des intervalles où tout change. Ce sont des changements naturels qui se succèdent mais ils sont différents par leurs caractéristiques. Penses aux vagues de la mer ou de l’océan, crois-tu qu’elles sont les mêmes lorsque la succession de roulis est presque permanente ?


En fait, il n’y a qu’une faculté qui ne change jamais ou presque pas : c’est la pensée que j’ai pour les miens, bien entendu et avant tout pour mes parents et l’ensemble de ma famille. Par ailleurs, je me suis toujours demandé s’il existe quelqu’un qui revient au même endroit et au même moment avec le même état d’esprit ?  Même chez moi, lorsque je quitte le matin et que j’y reviens à un autre moment de la journée, quelque chose a changé. 

Si ce n’est pas l’aspect physique de cet endroit qui peut être est figé, statique, sans vie, c’est moi qui ai changé. Je ne suis plus la même personne. J’ai vieilli de quelques minutes, de quelques heures, de quelques instants. J’ai eu une expérience de vie qui n’est plus la même que celle que j’avais au moment où j’ai quitté ce lieu.

J’ai vu, entendu et touché bien des personnes; j'ai senti des parfums et des odeurs et j'ai goûté des saveurs qui sont en changement permanent;  j'ai aussi touché bien des objets statiques et sans vie. 

Un de mes aînés m’a dit, ton passé et ton présent se fondent sur ce qu’a été le futur de tes ancêtres et si tu veux être en phase avec eux fais de ton futur non par le passé et le présent de tes descendants mais leur futur.’’

Comme toujours et de nouveau la sérénité est là…accompagnant la réflexion...

Ferid Chikhi

1 nov. 2009

Un Numidie en Amérique du Nord - 15 -

New York - Le sublime ? Est-il impensable ? – 2 –

(…) Voir Broadway, Vivre et Revivre (...).

Le Numide, lorsque tu étais plus jeune tu n’arrêtais pas de parler du music hall et tu rêvais d’aller à Broadway, l’as-tu réalisé ce rêve de jeunesse ? ‘’Contre vents et marées, OUI ! Ce qui m’a le plus enthousiasmé c’est ce retour mnémonique à mes 20 ans lorsque je m’imaginais sur cette avenue prestigieuse. Tu te rappelles sans doute qu’il y avait ceux qui disaient et qui, peut être, disent encore voir Venise, voir Paris, voir le Taj Mahal, voir la Muraille de Chine et mourir. Tu te rappelles que moi j’ai toujours dis voir Broadway, Vivre et Revivre.

Eh bien ! Voilà encore un autre de mes rêves de jeunesse qui s’est réalisé. J’aurais tant voulu voir une des pièces de théâtre ou une des comédies musicales, les plus en vue de l‘époque, telles que West Side Story de Bernstein, My Fair Lady de Frederick Loewe ou The Sound of Music de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, cela ne s’est pas accompli et pour cause, ce n’était pas seulement un fantasme mais bien plus, c’était une chimère.

Mais à ton époque le rêve était permis. Vous aviez accès à une culture encore ouverte sur le monde. La comparaison que tu sembles faire est-elle bien à-propos ? Vois-tu, pour un jeune vivant dans une petite ville des Aurès, en Algérie. Ce n’était pas évident. Certes, nous avions le cinéma ;  trois salles pour un peu plus que 70.000 habitants dont 70 % âgés de moins de 30 ans. Un théâtre mais pas de pièce à jouer. Un festival, celui de Timgad qui dépendait plus du bon vouloir de ses organisateurs bénévoles que des finances publiques.  C’étaient un espace et un environnement ambiant voués à la sclérose, faute de gouvernance éclairée. La culture faisait partie d’un registre qui se reléguait de lui-même aux oubliettes.
Seule l’imagination était le moyen de transport le plus rapide et le plus confortable. Et tous, nous rêvions. Le rêve a l’avantage de n’appartenir à personne d’autre qu’à celui qui le fait. De nos jours le rêve des jeunes est de se jeter à l’eau…sans gilet de sauvetage. Le mien ou je dirais les miens je les ai réalisés en partie. J’étais là, devant ces prestigieuses salles qui ont vu défiler des dizaines de géants du théâtre, du music hall et du cinéma américain. C’était un soir d’avril 2009. La décennie de ce nouveau millénaire s’achève bien, ai-je pensé pendant quelques instants.

Au moment où le crépuscule enveloppait de son manteau embrumé cette partie de Manhattan et que les panneaux lumineux et colorés défiaient les étoiles du ciel et éclairaient des milliers de rêveurs, je m'étais rendu compte que je n’étais pas seul à avoir désiré venir ici et vivre ce moment intensément. 

Ils venaient de partout. Ils avaient, sans aucun doute, les mêmes fantasmes que moi. Ils devaient certainement considérer que lorsque le rêve devient réalité que faire si ce n’est imaginer le meilleur, le sublime ? C'est-à-dire, dominer New York. C’est l’impensable qui se concrétise… Mais l’est-ce vraiment ? Il y a des instants où le doute nous envahit. Est-ce la réalité ou bien suis-je toujours dans le rêve ? ’’ 

Le Numide s’arrête et s’en suit encore un questionnement, une profonde réflexion, un moment de sérénité et de pensées apaisantes, le début d’une autre introspection. Je l’inviterai à en parler lors d’une prochaine rencontre.

Ferid Chikhi

Un Numide en Amérique du Nord - 377

Le Revenant : la société kabyle du temps des Ottomans et des Espagnols Un village de Kabylie. D. R. Par Ferid Racim Chikhi  – Le 27 janvier ...