30 mai 2010

Un Numide en Amérique du Nord - 57 -

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?

L’arrivée débute au lieu du départ - 2 -
Le Numide Parles-moi de ton arrivée, de ton installation et de ce qui t’a frappé au premier abord et qui avec le temps t’a fait changer de perception ?
Ouaahh ! Ça remonte à une dizaine d’années, pourtant ce sont des moments inoubliables. Ils s’inscrivent dans ta mémoire et deviennent des empreintes indélébiles que tu te remémores à chaque déclic. Le temps ne saurait les effacer et chaque fois que tu y penses c’est comme si c’était hier ou mieux encore aujourd’hui.
D’un point de vue générale, l’arrivée débute au lieu du départ. Tu as imaginé toutes les séquences. Tu revois le film que tu montes et que tu as rafraîchi pendant des semaines pour ne pas dire des mois. Tu as fait la liste des repères et de l’itinéraire pour que les choses se passent au mieux. Tu es convaincu que tu as suffisamment de connaissances sur le pays d’accueil, la ville d’arrivée, l’aéroport de débarquement.
Tu as fais la réservation de l’hôtel et du Bed & Breakfast où tu dois passer la 1ere et la 2nde nuit. Tu as pris une précaution de plus en sélectionnant la liste de ceux que tu considères comme étant la seconde liste. Tu as contacté deux ou trois amis au cas où quelque chose ne fonctionne pas…et une fois rendu à destination tout fonctionne mais pas du tout comme tu l’as prévu.
Si je comprends bien tu as rencontré des problèmes à ton arrivée ! ? Je sais que tu n’aimes pas évoquer les mauvais souvenirs mais dans ce cas était-ce la même chose que ce que t’ont raconté tes amis ? Dans les faits, Non tout à baigné dans l’huile. L’accueil des douaniers, celui des services d’immigration Canada et Québec ainsi que les agents d’information ont été comme me l’avaient conté tous ceux qui sont arrivés avant moi.
C’était pour moi et en tout état de cause un nouveau rendez-vous avec des qualités que je n’avais plus rencontrées depuis fort longtemps : la courtoisie, la politesse, l’amabilité, la disponibilité, l’écoute attentive et la cerise sur la tarte c’est le sourire. Je peux dire sans risque de me tromper que c’étaient là des qualités que je n’ai même pas trouvé en un seul bloc à l’aéroport de Frankfurt en Allemagne. Un moment de délectation que dis-je un instant de ravissement.
Donc les choses se sont passées comme tu l’avais prévu ? Bien au contraire tout était différent mais pas si pénible que je l’avais imaginé. Penses-y en l’espace d’une vingtaine de jours, après avoir redécouvert des valeurs que je croyais ne plus rencontrer nous avions au plan matériel loué un logement, acheté des meubles, garni le frigo, et j’en passe, le tout avec des économies au plan financier. Crois-tu que cela est encore possible, faisable, réalisable…dans ce qu’on qualifie de pays d’origine ?
Voilà ce qui m’a le plus frappé lorsque j’ai débarqué à Montréal. Ce à quoi je m’attendais des mois auparavant je le regardais et je le voyais. Je l’écoutais et je l’entendais. Je le vivais jour après jour. Tout était dans le mouvement, dans la découverte de choses vraies. Un pays, une province, des gens, en fait pas seulement des gens mais des citoyens. Des habitudes, des Us & des Coutumes.
La vérité de cette découverte a pris forme au lendemain d’une rencontre avec des amis. J’ai posée les mêmes questions que les tiennes. Les réponses n’ont pas été celles auxquelles je m’attendais. J’ai entendu quelques-uns vociférer contre les Canadiens pour le travail, d’autres pester contre les valeurs qu’ils n’appréciaient pas et qu’ils ne partageaient pas et bien sur il y avait ceux et celles – Oui – des femmes qui n’aimaient pas mais alors pas du tout l’attitude et le comportement des Canadiennes. Le Numide s’arrête d’un coup et comme à son habitude prend une profonde inspiration et l’instant d’après c’était celui de sa méditation lorsqu’il me conte ses souvenirs.
À suivre…
Ferid Chikhi

22 mai 2010

Un numide en Amérique du Nord – 56 –

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?
Le Numide, avant de poursuivre notre conversation, j’aimerais que tu reviennes sur ton expérience de l’immigration tant en Europe qu’au Canada ou si tu préfères, en final, sur les raisons de ta venue au Québec ou encore de ton départ de l’Algérie. Peux-tu en évoquer quelques-unes et nous dire en quoi elles ressembleraient à celles des autres immigrants algériens qui vivent en grand nombre au Canada ?
Je peux dire sans risque de me tromper que chaque expérience est unique et différente de celle des autres par les causes et les effets. Nous en parlions il y a à peine une semaine avec mon frère Lamine. Il me disait que par bien des aspects elle est distincte de celles des autres. Il a évoqué les aspects en lien avec l’histoire et le vécu de notre famille aussi bien paternelle que maternelle. Elle est aussi singulière par les liens très forts qui se sont consolidés et raffermis entre les miens et moi.
Elles pourraient être similaires par d’autres aspects à celles de tous les immigrants mais dans les faits elles sont exceptionnelles par l’existence que je mène et que mènent les miens.
Mais n’est-ce pas le cas pour tous ? Non ! Chaque cas est unique. En ce qui me concerne si je mets en exergue quelques éléments de cette évolution, juste par rapport à l’époque ou aux époques. Je dis bien évolution et non pas seulement changement. Et bien, j’aurais pu quitter l’Algérie dans les années ’’70’’. J’avais le choix entre l’Angleterre au moment où je faisais mes études en littératures et civilisations d’expression anglaise ; la France à la demande de mon cousin Salem qui souhaitait un soutien dans la gestion de sa station d’essence avec la perspective d’investissement et d’implantation en Algérie ; le monopole de l’État n’était pas pour aider ce type de projet ;  l’Espagne à la demande de mon ami Chérif qui m’a proposé la direction générale de deux hôtels dont il était propriétaire.
Je peux t’assurer que ce n’étaient pas les opportunités qui manquaient. Ça aurait pu aussi survenir dans les années ‘’90’’, durant la décennie noire mais à cette époque j’ai beaucoup plus milité pour aider d’autres familles, des hommes, des femmes, des jeunes à non seulement fuir l’intégrisme mais aussi à trouver leur chemin dans cet exil forcé.
Lorsque je me suis décidé à faire le saut, ma prise de décision était différente de celles des autres à cause de l’âge. Se séparer de son pays, de sa famille, de ses proches, de ses amis et de ses collègues n’est pas une décision que tu prends sur les chapeaux de roues lorsque tu as déjà vécu 50 ans avec l’idée que tu es indépendant et libre et que tu découvres, par hasard, que tu ne l’as jamais été et que dans les faits tu ne l’es pas.
Est-ce pour cela que tu soulignes toujours que tu es un exilé et non pas un immigrant ? J’ai aussi observé que depuis que tu le dis, la majorité des algériens, ici au Canada, t’ont emprunté le concept… Exact. Lors d’une rencontre d’une centaine de membres de la communauté réuni pour commémorer le 1er anniversaire du décès du défunt Hachemi Chérif j’avais dis à quelques uns des participants que l’exil tel que l’ont vécu et décrit Mohamed Dib, Slimane Azem ou encore Dahmane El Harrachi n’est pas le même que celui que nous vivons en Amérique du Nord parce que les conditions du départ ne sont pas les mêmes, les conditions d’implantation ne sont pas les mêmes, l’environnement social, culturel et politique n'est pas le même. Et bien d’autres choses.
Lorsque malgré la confiance que j’avais dans les institutions je découvre que je vivais dans l’illusion de la liberté, une méprise sans contours, sans fondements et sans ancrage, la seule alternative qui s’est présentée à moi était de me libérer du carcan.
Dans sa dernière réflexion (1) au sujet de mon arrière grand père paternel, Lamine a parlé de trajectoire et il a noté que si Djeddi Ali avait choisi de s’implanter dans la région des Aurès même si cela était sous tendu par la recherche de la prospérité, celle-ci était-elle exclusivement matérielle ou relevait-elle aussi du symbolique, de la trace, du repère historique et culturel ? Comment Djeddi Ali percevait-il son projet dans le temps ? Quelque part ne serait-ce pas une redondance de l’histoire, une répétition que j’expérimente ainsi que mes filles, ma sœur et ses enfants ?
À suivre…
Ferid Chikhi

Un Numide en Amérique du Nord - 377

Le Revenant : la société kabyle du temps des Ottomans et des Espagnols Un village de Kabylie. D. R. Par Ferid Racim Chikhi  – Le 27 janvier ...