13 mai 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 107 -

Je sais ce qu'est le néant, ce qu'est l'être …
Elle s’en est allée en ce 05 mai 2011 ….
C’était notre cadette. Généreuse, rassembleuse, énergique avec un brin d’espièglerie, pour ne citer que quelques-unes des caractéristiques de son tempérament et de son caractère. Comme chacun d'entre nous, Elle affichait, parfois, une humeur de chicaneuse, mais la bienfaisance faisait partie de son côté humain, et voilà, que sans prévenir Elle nous quitte laissant derrière Elle ce vide, qui nous hèle et nous apostrophe, mieux encore, qui nous convoque pour nous remémorer que sa place comme celle de notre mère sont précieuses.
Toutefois, que faire lorsque la faucheuse se présente à nous ?
Dans son dernier voyage Elle est partie rejoindre celle qui nous a donnée la vie et, qui Elle aussi s’en est allée voilà à peine 7 mois. Faute de pouvoir exprimer sa propre affliction il ne reste plus que l’alignement de quelques mots pour dire sa douleur et en pensant à Elles ces quatrains d’Omar Khayam me viennent à l’esprit.
Ferid Chikhi
Ce qui fut est passé …
Puisque tu ignores ce que te réserve demain,
Efforce-toi d'être heureux aujourd'hui.
Ne cherche pas à rendre durable la sympathie
Que tu peux éprouver pour quelqu'un.
Mon cœur, ne te souviens point de ce triste monde.
Tu n'es pas futile, ne t'afflige pas en vain.
Ce qui fut est passé, ce qui n'a pas été n'apparaît point encore,
Prends ton plaisir sans t'affliger de l'un ou de l'autre.
 Fais en sorte que ton prochain n'ait pas à souffrir de ta sagesse.
Domine-toi toujours. Ne t'abandonne jamais à la colère.
Si tu veux t'acheminer vers la paix définitive,
Souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.
Ô mon âme ! Nous formons à nous deux le parallèle d'un compas.
Bien que nous ayons deux pointes, nous ne faisons qu'un corps.
Actuellement, nous tournons sur un même point et décrivons un cercle,
mais le jour final viendra où ces deux pointes se réuniront.
J'ignore s'il existe une Justice et une Miséricorde...
Cependant, j'ai confiance …. 

 (Trad. M. Farzaneh et J. Malaplate,
"Les Chants d'Omar Khayam",
S. Hedayat, édition J. Corti.)

1 mai 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 106 -

Le premier printemps sans Elle …
Son dernier au-revoir
Aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque printemps. Depuis le 1er mai 1999, je l’appelais et conversais avec Elle le temps de passer en revue toutes les bonnes nouvelles, parler de la santé des plus âgés de la famille, de celles et ceux qui étaient malades et, je lui souhaitais un joyeux anniversaire. Celui de ma naissance. Elle me répétait sans s'en lasser '’mais c’est le tien‘’. Je convenais avec elle que c’était un moment de fête et de joie pour Elle et pour Papa. Elle acquiesçait par un ‘’c’est vrai’’. J’enclenchais par un ‘’dis moi, aujourd’hui, quel est le moment le plus agréable dont tu te souviens, à l’instant …’’, et avec une pincée d’un sourire presqu’imperceptible et que je devinais sur son visage elle me répondait, ‘’Ah ! Il faisait très beau ce jour là. Un moment radieux de printemps comme on n’en voit plus’’.
Je poursuivais par un ‘’Mais quoi encore ?’’ ’La famille, disait-elle, les gens et les amis étaient contents et heureux.’’ En poursuivant mon questionnement Elle m’avouait que ma naissance, Elle l’avait souhaitée et attendue plus de cinq années depuis celle de Beïda,  sous le regard accommodant des femmes de la famille. ‘’Arezki, mon père, devait avoir un garçon, pensaient-elles, même si Beida les comblait de bonheur, mais elles n’osaient pas aller à l’encontre de l’avis de ma grand-mère - Djoher - Nana, pour tous - qui chérissait mon père et qui par ricochet les adorait Elle et ma sœur''.
Elle m’a souvent répété que ‘ce 1er mai 1949, était un jour de printemps radieux, plein de soleil. Les oiseaux gazouillaient dans les arbres. Les hirondelles voletaient dans le ciel de Batna. Les youyous stridents exprimaient la joie débordante des femmes et emplissaient tous les espaces de la maison.  Les visites des membres de la famille, des proches et des ami(e)s étaient discontinues durant plus d’une semaine. Mon père, généralement discret, ne cachait ni sa joie ni son bonheur et son ravissement était partagé par tous’’.
Chaque printemps, en chacun de ces 1er mai, depuis la fin du dernier millénaire, malgré la distance qu’elle seule savait combler par ses mots, ses silences et ses non-dits, nous nous parlions. Un intervalle ''espace et temps'' qui nous séparait mais qui était selon sa propre définition un intervalle de connexion, de rapprochement et de communion. Un moment de proximité maternelle, qu’elle seule savait remplir par son écoute et ses conseils bien à-propos. Un bonheur que je n’avais jamais ressenti auparavant lorsque j'allais chaque année lui rendre visite en ce jour spécial et que depuis je vivais intensément lors de chacun de ces appels.
En ce jour de printemps 2011, la tristesse m’a envahie aux aurores. Puis, à 7 heures du matin, heure de ma venue en ce bas monde, j’entendis les gazouillis des oiseaux et son souvenir m’envahit. Un moment de vérité comme j’en ai rarement vécu … Depuis plus de dix ans, à distance, nous nous parlions et nous apprécions cet instant de plaisir, mais aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque année depuis mon 1er mai passé en terre germanique et depuis 10 ans passés en terre Canadienne. Elle s’en est allée en septembre dernier avec un dernier au-revoir ... Les larmes, à elles seules, pourront-elles un jour diluer ces laps de temps et les souvenirs qui les habitent ? J'en doute.
Ferid Chikhi

Un Numide en Amérique du Nord - 377

Le Revenant : la société kabyle du temps des Ottomans et des Espagnols Un village de Kabylie. D. R. Par Ferid Racim Chikhi  – Le 27 janvier ...