7 juin 2010

Un Numide en Amérique du Nord - 58 -

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?
Une habitude ce n’est pas facile à perdre - 3 -
Poursuivant la conversation de la veille, je demande au Numide s’il ne s’agissait pas plutôt des Québécoises !? Il répond sans hésitations. Non je dis bien Canadiennes. Au début des années 2000, les compatriotes ne parlaient que des Canadiens et des Canadiennes. Ce n’est qu’à partir de 2003 que l’image du Québécois s’installe dans les conversations entre les nouveaux arrivants. C’était peut être du aux effets du 11/09.
C’est donc dés le début que j’ai découvert que ma perception de l’environnement québécois n’est pas la même que celle des autres ; j’ai commencé à m’intéresser aux institutions, à la citoyenneté, à la culture et aux arts, aux contours sociologiques et linguistiques, à l’attitude et aux comportements, etc. Mes questions portaient sur l’adaptation et les ajustements dont j’avais besoin pour me mettre au diapason de la société d’accueil. Une société qui se qualifie de ‘’distincte’’ des autres en Amérique du Nord.
Qu’as-tu pensé à ce moment précis, t’es tu retrouvé ou as-tu perdu tes repères ? Je me demandais si mes valeurs allaient heurter de front les leurs ou se ranger à côté ou encore s’enrichir ? Aurais-je à me mettre à niveau et comment le faire surtout qu’on dit que celui qui a une habitude il ne la perd jamais ? Quelqu’un qui se prévalait de bien connaître la société québécoise, un jour m’a dit, ils parlent toujours de leurs valeurs mais à quoi se résument-elles ? À la langue française et nous en avons une meilleure, l’Arabe – ils parlent de l’égalité entre les hommes et les femmes alors que l’Islam nous invite à l’équité… avant même qu’il ne finisse son discours je lui ai demandé pourquoi avec la eilleure langue au monde et la meilleure valeur morale en l’occurrence, l’équité, il a quitté l’Algérie et pourquoi a-t’il choisi de venir s’installer au Québec !? Il se tut quelques secondes et me répondit : ce n’est pas la même chose. J’ai quitté le pays à cause des dirigeants, ce sont tous des corrompus et en Algérie on ne parle pas l’arabe on parle algérien … je lui demande alors pourquoi avoir choisi le Québec et pas un pays arabe ? Il répondit : les autres pays arabes !? Leurs gouvernants, eux-aussi, sont tous des corrompus et pire que les fascistes. Et là-bas l’intégrisme est pire qu’en Algérie. Je lui demande alors comment se fait-il qu’il se soit approprié des habitudes et des pratiques qui ne font partie ni de sa culture algérienne, ni des usages de son milieu familial et encore moins de son éducation. Il faut savoir que ce monsieur est diplômé en physique et enseigne dans une école secondaire. Il me répondit que face à la vie que mènent les nord américains, leurs mœurs, l’organisation sociale et familiale qui font qu’il n’ya ni le respect des plus âgés, ni celui de la femme - ils font de leurs femmes des objets de plaisir et ils osent parler d’égalité – je ne peux pas me permettre de laisser mes enfants aller dans ce sens...  J’ai préféré me lever et le saluer avant de le quitter sans me retourner. Il a eu beau me demander de rester encore quelques moments…
L’as-tu plaqué ? Que s’est il passé après cela ? Es-tu resté ou es-tu vraiment parti ?
Oui, parce que j’ai compris que nous parlions la même langue mais pas le même langage.  En fait nous n’étions pas sur la même longueur d’onde, donc je  lui ai clairement fait comprendre que j’avais fais un choix délibéré en venant au Québec ; d’abord pour la langue française que bien des écrivains algériens se sont appropriés et qui reste encore en Algérie la langue de travail, ensuite pour l’égalité entre les hommes et les femmes qui présuppose l’équité et par conséquent la justice et l’impartialité et, que pour moi l’intégration veut dire l’acquisition non seulement et simplement des habitudes sociales du pays d’accueil mais aussi celle d’une habitude mentale. Il a encore essayé de me dissuader de partir et j’ai du répliquer vertement que mon intégration, malgré mon âge avancé, ne se limite pas à parler le français et à travailler mais aussi à m’impliquer dans tout ce qui est proximité des gens du pays.
N’as-tu pas été trop fort avec lui ? Il me semble que tu t’es emporté. Ce que tu lui as dit est agressif ? Le Numide se tut quelques secondes me regarde dans les yeux et poursuivit…
À suivre…
Ferid Chikhi

30 mai 2010

Un Numide en Amérique du Nord - 57 -

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?

L’arrivée débute au lieu du départ - 2 -
Le Numide Parles-moi de ton arrivée, de ton installation et de ce qui t’a frappé au premier abord et qui avec le temps t’a fait changer de perception ?
Ouaahh ! Ça remonte à une dizaine d’années, pourtant ce sont des moments inoubliables. Ils s’inscrivent dans ta mémoire et deviennent des empreintes indélébiles que tu te remémores à chaque déclic. Le temps ne saurait les effacer et chaque fois que tu y penses c’est comme si c’était hier ou mieux encore aujourd’hui.
D’un point de vue générale, l’arrivée débute au lieu du départ. Tu as imaginé toutes les séquences. Tu revois le film que tu montes et que tu as rafraîchi pendant des semaines pour ne pas dire des mois. Tu as fait la liste des repères et de l’itinéraire pour que les choses se passent au mieux. Tu es convaincu que tu as suffisamment de connaissances sur le pays d’accueil, la ville d’arrivée, l’aéroport de débarquement.
Tu as fais la réservation de l’hôtel et du Bed & Breakfast où tu dois passer la 1ere et la 2nde nuit. Tu as pris une précaution de plus en sélectionnant la liste de ceux que tu considères comme étant la seconde liste. Tu as contacté deux ou trois amis au cas où quelque chose ne fonctionne pas…et une fois rendu à destination tout fonctionne mais pas du tout comme tu l’as prévu.
Si je comprends bien tu as rencontré des problèmes à ton arrivée ! ? Je sais que tu n’aimes pas évoquer les mauvais souvenirs mais dans ce cas était-ce la même chose que ce que t’ont raconté tes amis ? Dans les faits, Non tout à baigné dans l’huile. L’accueil des douaniers, celui des services d’immigration Canada et Québec ainsi que les agents d’information ont été comme me l’avaient conté tous ceux qui sont arrivés avant moi.
C’était pour moi et en tout état de cause un nouveau rendez-vous avec des qualités que je n’avais plus rencontrées depuis fort longtemps : la courtoisie, la politesse, l’amabilité, la disponibilité, l’écoute attentive et la cerise sur la tarte c’est le sourire. Je peux dire sans risque de me tromper que c’étaient là des qualités que je n’ai même pas trouvé en un seul bloc à l’aéroport de Frankfurt en Allemagne. Un moment de délectation que dis-je un instant de ravissement.
Donc les choses se sont passées comme tu l’avais prévu ? Bien au contraire tout était différent mais pas si pénible que je l’avais imaginé. Penses-y en l’espace d’une vingtaine de jours, après avoir redécouvert des valeurs que je croyais ne plus rencontrer nous avions au plan matériel loué un logement, acheté des meubles, garni le frigo, et j’en passe, le tout avec des économies au plan financier. Crois-tu que cela est encore possible, faisable, réalisable…dans ce qu’on qualifie de pays d’origine ?
Voilà ce qui m’a le plus frappé lorsque j’ai débarqué à Montréal. Ce à quoi je m’attendais des mois auparavant je le regardais et je le voyais. Je l’écoutais et je l’entendais. Je le vivais jour après jour. Tout était dans le mouvement, dans la découverte de choses vraies. Un pays, une province, des gens, en fait pas seulement des gens mais des citoyens. Des habitudes, des Us & des Coutumes.
La vérité de cette découverte a pris forme au lendemain d’une rencontre avec des amis. J’ai posée les mêmes questions que les tiennes. Les réponses n’ont pas été celles auxquelles je m’attendais. J’ai entendu quelques-uns vociférer contre les Canadiens pour le travail, d’autres pester contre les valeurs qu’ils n’appréciaient pas et qu’ils ne partageaient pas et bien sur il y avait ceux et celles – Oui – des femmes qui n’aimaient pas mais alors pas du tout l’attitude et le comportement des Canadiennes. Le Numide s’arrête d’un coup et comme à son habitude prend une profonde inspiration et l’instant d’après c’était celui de sa méditation lorsqu’il me conte ses souvenirs.
À suivre…
Ferid Chikhi

22 mai 2010

Un numide en Amérique du Nord – 56 –

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?
Le Numide, avant de poursuivre notre conversation, j’aimerais que tu reviennes sur ton expérience de l’immigration tant en Europe qu’au Canada ou si tu préfères, en final, sur les raisons de ta venue au Québec ou encore de ton départ de l’Algérie. Peux-tu en évoquer quelques-unes et nous dire en quoi elles ressembleraient à celles des autres immigrants algériens qui vivent en grand nombre au Canada ?
Je peux dire sans risque de me tromper que chaque expérience est unique et différente de celle des autres par les causes et les effets. Nous en parlions il y a à peine une semaine avec mon frère Lamine. Il me disait que par bien des aspects elle est distincte de celles des autres. Il a évoqué les aspects en lien avec l’histoire et le vécu de notre famille aussi bien paternelle que maternelle. Elle est aussi singulière par les liens très forts qui se sont consolidés et raffermis entre les miens et moi.
Elles pourraient être similaires par d’autres aspects à celles de tous les immigrants mais dans les faits elles sont exceptionnelles par l’existence que je mène et que mènent les miens.
Mais n’est-ce pas le cas pour tous ? Non ! Chaque cas est unique. En ce qui me concerne si je mets en exergue quelques éléments de cette évolution, juste par rapport à l’époque ou aux époques. Je dis bien évolution et non pas seulement changement. Et bien, j’aurais pu quitter l’Algérie dans les années ’’70’’. J’avais le choix entre l’Angleterre au moment où je faisais mes études en littératures et civilisations d’expression anglaise ; la France à la demande de mon cousin Salem qui souhaitait un soutien dans la gestion de sa station d’essence avec la perspective d’investissement et d’implantation en Algérie ; le monopole de l’État n’était pas pour aider ce type de projet ;  l’Espagne à la demande de mon ami Chérif qui m’a proposé la direction générale de deux hôtels dont il était propriétaire.
Je peux t’assurer que ce n’étaient pas les opportunités qui manquaient. Ça aurait pu aussi survenir dans les années ‘’90’’, durant la décennie noire mais à cette époque j’ai beaucoup plus milité pour aider d’autres familles, des hommes, des femmes, des jeunes à non seulement fuir l’intégrisme mais aussi à trouver leur chemin dans cet exil forcé.
Lorsque je me suis décidé à faire le saut, ma prise de décision était différente de celles des autres à cause de l’âge. Se séparer de son pays, de sa famille, de ses proches, de ses amis et de ses collègues n’est pas une décision que tu prends sur les chapeaux de roues lorsque tu as déjà vécu 50 ans avec l’idée que tu es indépendant et libre et que tu découvres, par hasard, que tu ne l’as jamais été et que dans les faits tu ne l’es pas.
Est-ce pour cela que tu soulignes toujours que tu es un exilé et non pas un immigrant ? J’ai aussi observé que depuis que tu le dis, la majorité des algériens, ici au Canada, t’ont emprunté le concept… Exact. Lors d’une rencontre d’une centaine de membres de la communauté réuni pour commémorer le 1er anniversaire du décès du défunt Hachemi Chérif j’avais dis à quelques uns des participants que l’exil tel que l’ont vécu et décrit Mohamed Dib, Slimane Azem ou encore Dahmane El Harrachi n’est pas le même que celui que nous vivons en Amérique du Nord parce que les conditions du départ ne sont pas les mêmes, les conditions d’implantation ne sont pas les mêmes, l’environnement social, culturel et politique n'est pas le même. Et bien d’autres choses.
Lorsque malgré la confiance que j’avais dans les institutions je découvre que je vivais dans l’illusion de la liberté, une méprise sans contours, sans fondements et sans ancrage, la seule alternative qui s’est présentée à moi était de me libérer du carcan.
Dans sa dernière réflexion (1) au sujet de mon arrière grand père paternel, Lamine a parlé de trajectoire et il a noté que si Djeddi Ali avait choisi de s’implanter dans la région des Aurès même si cela était sous tendu par la recherche de la prospérité, celle-ci était-elle exclusivement matérielle ou relevait-elle aussi du symbolique, de la trace, du repère historique et culturel ? Comment Djeddi Ali percevait-il son projet dans le temps ? Quelque part ne serait-ce pas une redondance de l’histoire, une répétition que j’expérimente ainsi que mes filles, ma sœur et ses enfants ?
À suivre…
Ferid Chikhi

Un Numide en Amérique du Nord - 378

  Pour un Québec émancipé et indépendant ! La société des Québécois et les Sociétés d’immigrants !? Depuis quelques mois, les discussions vo...