28 mai 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 108-

L’Ijtihad, l’accueil et l’hospitalité -1-
Malgré nos différences prônons un vivre ensemble intelligent 
Le propos qui suit se veut l’expression d’un aspect du cheminement que j'ai suivi pour me rapprocher de celles et de ceux qui m’ont accueilli et m’ont donné le temps d’occuper la place qui me revient selon leurs valeurs sociétales sans pour autant renier les miennes. Pour m’y faire j’ai pratiqué l’Ijtihad ‘’ - l’effort de réflexion sur soi-même’’ - tel que le préconise ma pratique religieuse.
Au préalable, je voudrais partager cette première réflexion : quitter un pays pour un autre est, pour certains, un simple voyage d’un point à un autre et une aventure pour d’autres. Je conviens aussi que pour la majorité il s’agit d’une immigration mais en ce qui me concerne c’est d’un exil qu’il est question.
Il faut comprendre que dans mon cas j’ai laissé derrière moi, non pas et seulement, un pays et une société, mais aussi toute une famille, des amis et des collègues. Les reverrai-je un jour ? Qui sait ? J’ai aussi laissé derrière moi des habitudes et des ambiances de senteurs et de parfums tels que le jasmin, le musc et la fleur d’oranger. Je me demande si un jour celles de l'érable et du bleuet les remplaceront ? Il y avait aussi des bruits tel celui de la résonance du pilon qui sert à broyer les condiments nécessaires à la confection des plats que réalisent avec tant d’attention les femmes de mon pays et que rien de similaire n'évoque au pays de Félix Leclerc et de frère André.
L’exil, ça se déroule alors que l’impuissance face au départ est avérée et tout en nous confrontant à notre vulnérabilité il nous questionne, il nous interpelle ... S’agit-il d’une fuite ou au contraire d’une avancée vers le futur ? N’est ce pas un acte de lâcheté ou au contraire un acte de bravoure que de se risquer à aller de l’avant, vers l’autre ?
Dans mon langage d’exilé venant d’un pays ou l’Islam est la religion dominante l’intégration suppose le respect des lois de l'hospitalité. Or, dés le début, j’ai compris qu’au Québec celle-ci prend une autre signification et se voit remplacer par l’accueil. Il est vrai que le québécois, dans sa générosité et son ouverture d’esprit, accueille beaucoup plus qu’il n’offre l’hospitalité. Et là, il a fallu m’adapter à ce nouveau paradigme, sachant que pour moi, l’accueil est une partie de l’hospitalité. C’est le 1er segment de la rencontre avec l'autre.
Ferid Chikhi
Contribution particulière
Revue ‘’L’Envoi’’ du Diocèse
De St Hyacinthe – Montérégie – Québec - Canada
12 mai 2011

13 mai 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 107 -

Je sais ce qu'est le néant, ce qu'est l'être …
Elle s’en est allée en ce 05 mai 2011 ….
C’était notre cadette. Généreuse, rassembleuse, énergique avec un brin d’espièglerie, pour ne citer que quelques-unes des caractéristiques de son tempérament et de son caractère. Comme chacun d'entre nous, Elle affichait, parfois, une humeur de chicaneuse, mais la bienfaisance faisait partie de son côté humain, et voilà, que sans prévenir Elle nous quitte laissant derrière Elle ce vide, qui nous hèle et nous apostrophe, mieux encore, qui nous convoque pour nous remémorer que sa place comme celle de notre mère sont précieuses.
Toutefois, que faire lorsque la faucheuse se présente à nous ?
Dans son dernier voyage Elle est partie rejoindre celle qui nous a donnée la vie et, qui Elle aussi s’en est allée voilà à peine 7 mois. Faute de pouvoir exprimer sa propre affliction il ne reste plus que l’alignement de quelques mots pour dire sa douleur et en pensant à Elles ces quatrains d’Omar Khayam me viennent à l’esprit.
Ferid Chikhi
Ce qui fut est passé …
Puisque tu ignores ce que te réserve demain,
Efforce-toi d'être heureux aujourd'hui.
Ne cherche pas à rendre durable la sympathie
Que tu peux éprouver pour quelqu'un.
Mon cœur, ne te souviens point de ce triste monde.
Tu n'es pas futile, ne t'afflige pas en vain.
Ce qui fut est passé, ce qui n'a pas été n'apparaît point encore,
Prends ton plaisir sans t'affliger de l'un ou de l'autre.
 Fais en sorte que ton prochain n'ait pas à souffrir de ta sagesse.
Domine-toi toujours. Ne t'abandonne jamais à la colère.
Si tu veux t'acheminer vers la paix définitive,
Souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.
Ô mon âme ! Nous formons à nous deux le parallèle d'un compas.
Bien que nous ayons deux pointes, nous ne faisons qu'un corps.
Actuellement, nous tournons sur un même point et décrivons un cercle,
mais le jour final viendra où ces deux pointes se réuniront.
J'ignore s'il existe une Justice et une Miséricorde...
Cependant, j'ai confiance …. 

 (Trad. M. Farzaneh et J. Malaplate,
"Les Chants d'Omar Khayam",
S. Hedayat, édition J. Corti.)

1 mai 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 106 -

Le premier printemps sans Elle …
Son dernier au-revoir
Aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque printemps. Depuis le 1er mai 1999, je l’appelais et conversais avec Elle le temps de passer en revue toutes les bonnes nouvelles, parler de la santé des plus âgés de la famille, de celles et ceux qui étaient malades et, je lui souhaitais un joyeux anniversaire. Celui de ma naissance. Elle me répétait sans s'en lasser '’mais c’est le tien‘’. Je convenais avec elle que c’était un moment de fête et de joie pour Elle et pour Papa. Elle acquiesçait par un ‘’c’est vrai’’. J’enclenchais par un ‘’dis moi, aujourd’hui, quel est le moment le plus agréable dont tu te souviens, à l’instant …’’, et avec une pincée d’un sourire presqu’imperceptible et que je devinais sur son visage elle me répondait, ‘’Ah ! Il faisait très beau ce jour là. Un moment radieux de printemps comme on n’en voit plus’’.
Je poursuivais par un ‘’Mais quoi encore ?’’ ’La famille, disait-elle, les gens et les amis étaient contents et heureux.’’ En poursuivant mon questionnement Elle m’avouait que ma naissance, Elle l’avait souhaitée et attendue plus de cinq années depuis celle de Beïda,  sous le regard accommodant des femmes de la famille. ‘’Arezki, mon père, devait avoir un garçon, pensaient-elles, même si Beida les comblait de bonheur, mais elles n’osaient pas aller à l’encontre de l’avis de ma grand-mère - Djoher - Nana, pour tous - qui chérissait mon père et qui par ricochet les adorait Elle et ma sœur''.
Elle m’a souvent répété que ‘ce 1er mai 1949, était un jour de printemps radieux, plein de soleil. Les oiseaux gazouillaient dans les arbres. Les hirondelles voletaient dans le ciel de Batna. Les youyous stridents exprimaient la joie débordante des femmes et emplissaient tous les espaces de la maison.  Les visites des membres de la famille, des proches et des ami(e)s étaient discontinues durant plus d’une semaine. Mon père, généralement discret, ne cachait ni sa joie ni son bonheur et son ravissement était partagé par tous’’.
Chaque printemps, en chacun de ces 1er mai, depuis la fin du dernier millénaire, malgré la distance qu’elle seule savait combler par ses mots, ses silences et ses non-dits, nous nous parlions. Un intervalle ''espace et temps'' qui nous séparait mais qui était selon sa propre définition un intervalle de connexion, de rapprochement et de communion. Un moment de proximité maternelle, qu’elle seule savait remplir par son écoute et ses conseils bien à-propos. Un bonheur que je n’avais jamais ressenti auparavant lorsque j'allais chaque année lui rendre visite en ce jour spécial et que depuis je vivais intensément lors de chacun de ces appels.
En ce jour de printemps 2011, la tristesse m’a envahie aux aurores. Puis, à 7 heures du matin, heure de ma venue en ce bas monde, j’entendis les gazouillis des oiseaux et son souvenir m’envahit. Un moment de vérité comme j’en ai rarement vécu … Depuis plus de dix ans, à distance, nous nous parlions et nous apprécions cet instant de plaisir, mais aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque année depuis mon 1er mai passé en terre germanique et depuis 10 ans passés en terre Canadienne. Elle s’en est allée en septembre dernier avec un dernier au-revoir ... Les larmes, à elles seules, pourront-elles un jour diluer ces laps de temps et les souvenirs qui les habitent ? J'en doute.
Ferid Chikhi

25 avr. 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 105 -


L’exploration de l’autre -5-
Au-delà du voyage spirituel, des chemins de vie
Des chemins de vie ! Lorsque j’ai pris conscience que ceux que j’ai empruntés, non seulement, je ne les ai jamais imaginés mais aussi que je n’avais jamais prévu d’y poursuivre une quelconque quête de spiritualité ou de recueillement, j’ai aussi compris que l’infini n’est pas la porte d’à côté.  Dans ma pratique religieuse, la foi et la spiritualité vont de pair et se complètent. Alors que je n’avais que 12 ans, j’ai appris, de mon grand oncle maternel, qu’elles vont de pair parce qu’il y a trois types de récitations d’un chapitre ou d’un verset pendant une prière.  Il y a les prières qui se font ordinairement, instinctivement, formellement … le matin ou dans la journée. Il y a celles qui se font à l’aube et le soir. Il y a aussi, une troisième, la meilleure, celle qui a été recommandée au ProphèteQSSSL dans la sourate - 73 - Al Muzzamil (L’enveloppé) : La prière pendant la nuit est plus efficace et plus propice pour la récitation. Tu as, dans la journée, à vaquer à de longues occupations.
Ce chapitre recommande de prendre le temps qu’il faut pour réciter le Coran, lentement et clairement. Il appelle à méditer les mots qu’on lit et à s’en imprégner pour faire l’agrégation entre la foi et le spirituel. Alors, je me suis dit, si ma pratique religieuse m’indique que la foi et la spiritualité vont de pair et se complètent, pourquoi ma pratique sociale ne devrait-elle pas être sur le même modèle et conjuguer échange, compréhension, partage et solidarité ?
Sur les Chemins de vie que j’ai empruntés j’ai eu, parmi tant d’autres, des rencontres apaisantes et sereines. Beaucoup d’entre-elles m’ont incitées à aller de plus en plus vers l’autre parce qu’il est étrange et l’étrange doit être exploré, découvert pour faire de celui qui le porte un proche et non pas un étranger quelque soit son origine.
Ferid Chikhi

18 avr. 2011

Un Numide en Amérique du Nord -104-

L’exploration de l’autre -4-
La course après son souffle
Un autre aspect de cet organisme m’avait emballé. C’était ni plus ni moins que son fonctionnement : Les ‘’Soirées sur l’actualité’’ qui portent un ‘’Second regard sur le monde’’ et qui offrent l’opportunité à des moments et en un lieu pour faire le point, échanger nos craintes et nos espoirs, trouver du sens à nos idées tout en posant des gestes pertinent.
Certes je ne remettais en question ni mes choix, ni mes valeurs et encore moins ma façon de vivre. Je n’avais pas un tel besoin mais, la curiosité, ce méchant défaut a pris le dessus sur la prudence et la réserve.
Nous nous sommes retrouvés, Leila et moi, à parler avec des Québécois de souche des défis que nous confrontons tous les jours, des mauvaises nouvelles comme des bonnes qui se succèdent et qui souvent perturbent notre quotidien. La course après son souffle ... expression du jour, de tous les jours.
Ma première participation n’allait pas être la dernière, malgré le fait que je sois musulman. Les échanges sont toujours cordiaux et ouverts. Des thèmes bien choisis par Jacques et Denise, deux personnes forts sympathiques, toujours accueillantes et surtout authentiques.
Les autres participants sont à l’écoute de nos propos et n’hésitent pas à questionner même sur les sujets les plus délicats. Les sujets qui fâchent. Mais lorsque ce sont des gens simples, malgré leur culture, leur éducation et leur instruction de haut niveau ou tout simplement leur expérience de vie, qui cherchent des réponses à leurs questions cela devient de l’exploration.
Ça ne heurte pas. Ça incite à sonder sa mémoire pour y valider si la bonne réponse n’y est pas déjà imprégnée. Si elle ne s’y trouve pas, vous le dites et, personne ne vous en tiendra rigueur.
A suivre …  
Ferid Chikhi

11 avr. 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 103 -

L’exploration de l’autre -3-
Parmi les besoins humains ... le sens de sa vie ... 
Tous ces immigrants sont confrontés au même paradoxe qui pourrait se lire comme suit : d’une part, les causes du départ de leur pays, - parce que la démocratie y fait défaut, parce que les conditions économiques est à l’origine de la précarité économique qu’ils vivent ou encore en raison de la guerre - et d’autre part, leur intégration à la société d’accueil notamment à cause de la problématique de la reconnaissance de leurs acquis universitaires et professionnels.
La reconnaissance d’un registre de connaissances, de savoir faire et de savoir être est tellement cruciale même si dans l’absolu c’est sur la base de ces deux paramètres auxquels vient s’ajouter la maîtrise de la langue française qu’ils ont été sélectionnés …  la problématique est que la non reconnaissance invite tous les immigrants du Québec à renier leur passé - au Québec il est question de faire le deuil du passé - et à partir de nouveau de zéro.
J’ai fais de cet énoncé une règle, un précepte, un enseignement ou selon certains le commencement d’une nouvelle vie telle que celle de tous ces immigrants qui arrivent en cette terre du nouveau monde qu’est l’Amérique du Nord, le Canada en tant que pays entre deux océans. Un pays ou deux solitudes (l’anglophone et la francophone) se regardent comme chiens de faïences.
Puis le Québec, terre d’accueil par excellence de l’immigration francophone. Un pays qu’une partie des habitants voudrait couper de l’ouest et que les citoyens de l’ouest veulent à tout prix garder dans la confédération, de peur de perdre soit leur âme soit leur esprit ou peut être les deux en même temps. C’est dire qu’emprunter de nouveaux chemins dans ce vaste monde n’est pas aisé parce que le risque de l’inconnu est toujours présent.
Pour le moment je ne vais pas élaborer autour de la suggestion de Lamine mais je reste sur les chemins de vie que j’ai empruntés. Chemins au pluriel et vie au singulier. J’ai vite compris que nous pouvions emprunter plusieurs chemins mais nous le faisons au cours d’une seule vie. Un jour un petit entrefilet dans un hebdomadaire local invitait à une discussion sur ‘’l’étranger et l’accueil des immigrants dans les pratiques religieuses’’ lancée par un organisme communautaire qui souligne dans l’exergue de ses missions que ‘’Parmi les besoins humains, il y a celui de trouver le sens de sa vie et de s’accomplir comme personne, y compris dans sa dimension spirituelle’’.
Les pratiques religieuses. Ce concept tellement banalisé a été le déclic qui m’a amené à chercher qui étaient les personnes qui présidaient aux destinés de cet organisme. Je n’ai pas trouvé les informations nécessaires et suffisantes pour me donner une idée précise de leur profil. J’ai eu quelques appréhensions et comme le dit l’adage ‘’tu chasses le naturel il revient au galop’’ ; très vite la curiosité du journaliste qui sommeillait en moi depuis plus de dix années émergea et …  me voici embarqué dans une belle histoire.
A suivre …  
Ferid Chikhi

5 avr. 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 102 -

L’exploration de l’autre -2-
Ils ne savent rien de nous.
Après l’euphorie de l’arrivée, Oksana a frisé la dépression parce que tout son savoir et son savoir faire ont été rejetés du revers de la main par des recruteurs y compris d’institutions gouvernementales, des employés et même le registrariat d’une université, même si après mille et une démarches elle a fini par accéder à une inscription en doctorat. Cela n’a pas empêché certains professeurs de lui faire faire des travaux de recherche qu’ils ne pouvaient mener à terme selon leurs propres compétences. Le résultat est simple à deviner : appropriation indue des conclusions de ses recherches.
Dés le début de sa dépression elle m’a fait part de son désarroi. Nous avons échangé sur la frustration qu’elle ressentait parce qu’elle ne trouvait pas un emploi en conformité à ses attentes. Lorsque je lui ai suggéré de rencontre un psy elle a souri, me regarda droit dans les yeux et me lança visiblement excédée : crois tu que je peux leur faire confiance ?  Ils ne savent rien de nous. Elle me rappela qu’une fois inscrite au doctorat en informatique, les employeurs qu’elle a contactés ne voyaient que celui avec lequel elle est arrivée au Québec mais non reconnu à sa juste valeur. Ils la remercièrent d’avoir offert ses services mais personne parmi eux ne voulait la recruter sauf pour un emploi de technicienne niveau collégial.
Un jour elle a étalé sept des qualificatifs qu’elle connaissait pour exprimer sa colère et sa frustration : Insatisfaction. Tristesse. Contrariété. Désagrément. Chagrin. Désillusion. Dépit. Une fois énumérés dans le désordre elle les a classés par ordre alphabétique : Chagrin, contrariété, dépit, désagrément, désillusion, insatisfaction, tristesse. Voilà, me dit-elle, le mur que je dois abattre pour être acceptée avec mes valeurs, mes compétences et mon expérience. Quelques temps après elle s’est mise à les proposer en mots croisés.
Dans nos discussions nous avons comparé ce que nous avons laissé derrière nous en quittant nos pays respectifs. Je cite Oksana, comme je pourrais parler de Simon un Ivoirien, Jean Jacques un Français originaire de Madagascar, ou encore Svetlana une Serbe, Mirela une Lithuanienne, Shérif un Bosniaque, Geneviève une Congolaise et bien d’autres … je le fais parce que récemment, mon frère Lamine, m’a invité à poursuivre ma réflexion en mettant en exergue Ce qui manque fondamentalement aux pays du Sud et qui se doit d'être réalisé (ou concrétisé ou encore réuni) pour qu'ils gardent leur jeunesse.
Il est vrai que l’idée m’a interpelée et avant d’aborder cet aspect des choses je me suis laissé prendre par les premières images qui défilèrent devant moi. …
A suivre
Ferid Chikhi

31 mars 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 101 -

L’exploration de l’autre -1-
A la rencontre des autres …  
Il y a des moments dans l’existence d’un individu qui lui font prendre conscience des chemins de vie qu’il emprunte et qu’il n’a jamais imaginé parcourir de sa naissance à l’ultime seconde de son existence. D’aucuns diront que c’est une lapalissade. J’en conviens. Mais il arrive que les évidences ne soient pas perçues de la même manière par tous.
Il existe aussi de précieux instants de la vie de tout un chacun qui mettent en relation des personnes qui viennent des quatre coins du monde et qui sont à la fois des moments sublimes de vérité pour au moins deux raisons : La première est que ces précieux instants n’ont pas été pensés, prévus ou planifiés. La seconde est que ces personnes arrivent à communiquer, à échanger et à converser quand tout les différencie. Alors qu’elles sont distinctes les unes des autres, ces personnes sont aussi et à la fois uniques et semblables.
Depuis pas moins de 45 ans, j’ai rencontré des hommes, des femmes, des enfants avec des personnalités différentes mais fort marquantes. Des personnes qu’on n’oublie pas. Les uns avec des parcours fabuleux et d’autres ayant une vie tout à fait modeste, paisible et tranquille. J’ai aussi rencontré des individus dont la fréquentation est tout à fait répréhensible. Heureusement, pour beaucoup de ces jonctions tout est resté aux premiers balbutiements. Par contre, pour bien d’autres c’était l’initiation d’une sympathie partagée et profonde, d’une entente singulière, d’une compréhension mutuelle, d’un attachement et d’une estime partagés.
Cette initiation est, souvent, partie du simple croisement de nos regards, de l’échange de mots simples d’une phrase de contact. C’est aussi par une observation ou un commentaire pertinent que le lien se crée. Mais il arrive qu’un constat sur un segment de nos cheminements de vies soit le déclic d’une amitié profonde.
Pour illustrer ces deux parties, la répréhensible et la positive, je commencerai par la seconde et je tenterai d’oublier la première. Ma rencontre avec une Amie originaire de Roumanie en est un bon exemple. Il n’y a pas si longtemps de cela ; environ une demi-dizaine d’années, je l’ai rencontrée. Elle est arrivée à Montréal, presqu’à la même époque que moi. Comme un grand nombre de Roumaines et d’immigrants des pays de l’Est de l’Europe et d’ailleurs, Elle pourrait étaler ses diplômes en mathématiques et en informatique, son savoir faire et ses compétences tout en faisant concurrence aux meilleurs sommités du domaine, ou considérées comme telles en Amérique du Nord.  Je ne parle même pas de ses origines familiales et sociales, tout à fait nobles. …
A suivre
Ferid Chikhi

26 mars 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 100 -

Bâtir sur du neuf et Toujours partir de zéro -5-
L’exil c’est aussi faire le deuil d’un passé …
Dans mes différentes perceptions je me suis rendu compte que je faisais la distinction entre l’immigration et l’exil de ceux qui se sont rendus en Europe et de ceux qui viennent en Amérique du Nord. Même si dans leur essence ils sont identiques. Cependant, la distinction que je fais se situe au niveau des conditions de départ et celles de l’implantation. L’environnement social, culturel et politique n'est pas le même. Venir au Québec, au Canada, en Amérique du Nord c’est traverser l’océan et, même si ce n’est pas par bateau, ça reste loin. C’est vivre le mythe de la liberté en terre de liberté. C’est valider que c’est possible parce que cela existe.
Le Québec, c’est immense, c’est aussi grand et même plus vaste que le Sahara. Le temps, la distance, et l’espace ça fait trop de choses à la fois. J’y ai réfléchi plus d’une fois. Une sensation particulière m’envahissait chaque fois que j’y pensais.
J’angoissais et la peur me prenait au ventre. Cela a été suivi par de l’appréhension, de l’inquiétude et parfois le doute m’envahissait. Mais l’enthousiasme a vite pris le dessus et ma motivation me survoltait au point de me faire oublier mon demi-siècle de vie passée ailleurs. Ce n’est que bien plus tard en analysant mon installation que j’avais compris que ma prise de décision était différente de celles des autres nouveaux arrivants, différentes des milliers d’exilés et de ceux qui se sont rendus en Europe.
Si au final, le Québec a été retenu, c’est tout simplement parce que trois conditions majeures étaient réunies. La 1ere  étant la Liberté dans laquelle La Belle Province baigne ainsi que ses citoyens. La 2nd est la sécurité et la protection que chacun ressent dans son vécu de citoyen. La 3ième est à la fois la langue française - même en tant que langue de colonisation* - associée aux valeurs d’égalité. C’est ce qui m’a le plus impressionné lorsque je suis arrivé à Montréal.
Ce, à quoi je m’attendais des mois auparavant, je le regardais et je le voyais. Je l’écoutais et je l’entendais. Je le vivais jour après jour. Tout était dans le mouvement, dans la découverte de choses vraies. Un pays, une province, des gens. En fait, pas seulement des gens mais des citoyens. Des habitudes de vie, des Us & des Coutumes qui ‘’tassent’’ les premières. Ça fonctionne comme pour un ordinateur qu’il faut reformater.
Pour m’intégrer j’ai décidé de changer mes paradigmes en appliquant trois principes québécois. ‘’Faire le deuil d’un passé. Apprendre à mieux me connaître. Me constituer un réseau de contacts’’. Le tout fondé sur un principe propre aux Amazighes : ‘’Bâtir sur du neuf et Toujours partir de zéro’’.
Ferid Chikhi
* Avant la colonisation française de l’Algérie la langue première a toujours été le Tamazight et la langue seconde l’Arabe. Pendant 132 ans le Français a été la langue du colonisateur. Après l’indépendance du pays l’Arabe est devenu la langue officielle supplantant le Tamazight et le Français reste cependant la langue de travail mais en voie de diminution

21 mars 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 99 -

Bâtir sur du neuf et Toujours partir de zéro -4-
L’exil et l'appréciation du vécu ...
Pour dépasser le handicap et l’appréhension ou encore la crainte que la simple pensée du risque encouru créait en moi j’ai du me faire violence ou plutôt j’ai prohibé ou mieux encore empêché l’accès de mon esprit, de mon raisonnement, à tout ce qui pouvait contrecarrer la remise en question du cheminement que je m’étais assigné. C’était de l’autocensure que je m’étais infligée. J’ai pour ainsi dire révoqué tout empêchement possible à même de me faire changer d’idée.
Dans les faits j’ai du faire un bilan exhaustif des 50 dernières années et évaluer par anticipation la dizaine, un peu plus ou un peu moins, qui me restait à vivre. Donc, revoir le passé et envisager l’avenir. Deux démarches différentes qui ont, par endroit, des similitudes. Elles se complètent mais avec un point d’arrêt ou encore mieux un espace qui les sépare et qui les relie. Comme si c’étaient les outils d’un relais … un espace de transition.
Sur un autre registre et selon ma propre compréhension, partir d’un pays est un processus qui s’envisage naturellement parce que l’individu est par essence toujours en mouvement. Sur un tout autre plan et selon les spécialistes de la mobilité internationale des ressources humaines l’arrivée dans un autre pays débute au lieu du départ.
Il existe un autre aspect de la question de l’exil tant de fois défini, évoqué et analysé, c’est celui de l’appréciation du vécu jusqu’à une certaine échéance. Celle de la récapitulation des périodes qu’une personne franchit de la naissance à la date du changement ou encore l’élaboration du tableau bord de son expérience de vie, de son existence. A mon sens, et en ce qui me concerne, revoir et imaginer, à la fois des séquences de mon passé et certaines à venir, est à la fois troublant, déchirant, émouvant et impressionnant.
Le tout en raison des représentations ou des images qui nous confrontent comme une convenance, une affinité de notre raison alors que l’on pense tout savoir de soi. Par exemple, je n’ai jamais pensé au cimetière de Batna, ma ville natale, où sont enterrés quelques dizaines des membres de ma famille : grands parents, grands oncles et tantes, cousins et cousines, neveux et nièces, etc. des amis et des voisins et bien d’autres relations. Y penser au moment d’un départ ce sont des pans entiers d’une grande histoire qui défile devant moi.
Je me rappelle que ce cimetière, comme peut être tous les cimetières, n’est pas seulement fait pour accompagner à leur dernière demeure les défunts parents ou proches connaissances, il est également fait pour aller se recueillir sur leurs tombes, les jours de fêtes, se les rappeler à notre souvenir, revisiter une histoire de vie partagée. Une tradition qui persiste seulement pour les plus récents. Pourquoi le cimetière est-il remonté à la surface ? Je ne l’ai jamais compris mais c’était une pensée troublante qui a traversé mon esprit.
A suivre
Ferid Chikhi

18 mars 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 98 -

Bâtir sur du neuf et Toujours partir de zéro -3-
L’individu est par essence toujours en mouvement.
Pour dépasser le handicap et l’angoisse que la simple pensée du risque encouru créait en moi j’ai du me faire violence ou plutôt j’ai prohibé ou mieux encore empêché l’accès de mon esprit, de mon raisonnement, à tout ce qui pouvait contrecarrer la remise en question du cheminement que je m’étais assigné. C’était de l’autocensure que je m’étais infligée. J’ai pour ainsi dire révoqué tout empêchement possible à même de me faire changer d’idée.
Dans les faits j’ai du faire un bilan exhaustif des 50 dernières années et évaluer par anticipation la dizaine, un peu plus ou un peu moins, qui me restait à vivre. Donc, revoir le passé et envisager l’avenir. Deux démarches différentes qui ont, par endroit, des similitudes. Elles se complètent mais avec un point d’arrêt ou encore mieux un espace qui les sépare et qui les relie. Comme si c’étaient les outils d’un relais …
Sur un autre registre et selon ma propre compréhension, partir d’un pays est un processus qui s’envisage naturellement parce que l’individu est par essence toujours en mouvement. Sur un tout autre plan et selon les spécialistes de la mobilité internationale des ressources humaines l’arrivée dans un autre pays débute au lieu du départ.
Il existe un autre aspect de la question de l’exil tant de fois défini, évoqué et analysé, c’est celui de l’appréciation du vécu jusqu’à une certaine échéance. Celle de la récapitulation des périodes qu’une personne franchit de la naissance à la date du changement ou encore l’élaboration du tableau bord de son expérience de vie, de son existence. A mon sens, et en ce qui me concerne, revoir et imaginer, à la fois des séquences de mon passé et certaines à venir, est à la fois troublant, déchirant, émouvant et impressionnant.
Le tout en raison des découvertes qui nous sont flanquées au visage comme une injure à notre raison alors que l’on pense tout savoir de soi. Par exemple je n’ai jamais pensé au cimetière de Batna, ma ville natale, où sont enterrés quelques dizaines des membres de ma famille : grands parents, grands oncles et tantes, cousins et cousines, neveux et nièces, etc. des amis et des voisins et bien d’autres relations. Y penser au moment d’un départ ce sont des pans entiers d’une grande histoire qui défile devant moi.
Je me rappelle que ce cimetière, comme peut être tous les cimetières, n’est pas seulement fait pour accompagner à leur dernière demeure les défunts parents ou proches connaissances mais il est fait pour aller se recueillir sur leurs tombes les jours de fêtes, se les rappeler à notre souvenir, revisiter une histoire de vie partagée. Une tradition qui persiste seulement pour les plus récents. Pourquoi le cimetière est-il remonté à la surface ? Je ne l’ai jamais compris mais c’était une pensée troublante qui a traversé mon esprit.
A suivre
Ferid Chikhi

11 mars 2011

Un Numide en Amérique du Nord - 97-

Bâtir sur du neuf et Toujours partir de zéro -2-
La proximité en question se vit au quotidien …
Répondre aux deux précédentes questions c’est ouvrir la porte à des spéculations, à des hypothèses les unes vérifiables les autres le seraient en partie parce que le faire c’est aussi refuser le changement et ne pas se risquer à voir le monde autrement que par la lorgnette de ceux qui veulent imposer le leur, totalement rétrograde, alors que les paradigmes de la vie et de la société sont en perpétuels transformation.
J’ai entendu des proches me traiter de fou. Oui, n’est-ce pas dans notre cas et à notre âge, faire preuve d’inconscience et à la limite de folie ? Mais il y a des conditions et des facteurs qui varient de jour en jour et personne n’en a la maîtrise. Ce sont ces moments de vérité qui vous engagent à aller de l’avant.
Mes deux filles les ont vécus avant nous. Ma femme et moi même les avons guidées dans ce cheminement. Il importe de souligner que la proximité avec nos filles n’a rien à voir ni avec la religion ni avec la culture traditionnelle mais elle relève bien plus de l’amour filial héritage de l’éducation inculquée par nos mères et nos pères. J’ajouterais que ce n’est pas aussi par la formation acquise dans le système scolaire d'une éducation nationale ‘’sinistrée’’ comme l’a qualifiée le défunt Président algérien Mohamed Boudiaf. C'est bien par l’éducation familiale qui forme, qui trace les contours et dessine tant la forme que le fonds de cette relation et le devenir des générations futures. La proximité en question se vit au quotidien.
Je tiens également à souligner qu’en ce qui me concerne quitter un pays c’est aussi laisser derrière soi des habitudes et des usages difficilement renouvelables ailleurs. Ce sont des parfums singuliers qui n’habillent plus l’atmosphère et l’ambiance du milieu de vie. Il y a aussi des sons et des bruits que je n’entends plus, tel que le timbre du pilon qu’utilisent les femmes pour préparer des condiments, ces aromates et ces épices, destinés à donner du goût et des senteurs spécifiques à la chorba, ce potage de tomate, plein de blé dur concassé et parfumé de coriandre ou à un Tajine de pruneaux agrémenté de raisins secs.
Au-delà des handicaps communs qu’il fallait dépasser ; le plus important a été, en ce qui me concerne, l’âge. Choisir de quitter son pays à 50 ans n’est pas en soi une aventure, un simple voyage mais un changement radical dans la vision, la perception ou la compréhension de l’immigration et de la séparation. C’est comme couper une seconde fois le cordon ombilical. C’est aussi une autre compréhension du passé.
À suivre
Ferid Chikhi

Un Numide en Amérique du Nord - 378

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